La course en ligne en kayak est une épreuve de vitesse avec départ arrêté qui se déroule en eau calme sur un plan d'eau aménagé. Le kayakiste est assis dans son bateau et utilise une pagaie double. Les épreuves olympiques se disputent sur des longueurs de 200m (épreuve introduite aux J.O. de Londres 2012), 500m et 1000m, seul (K1) ou en équipage à 2 (K2) ou à 4 (K4). Chaque course oppose 9 kayaks. Les compétitions sont organisés en séries qualificatives avant la finale.
Considérant l'intensité, la durée et la répétition des efforts, pour optimiser la performance en kayak, il est primordial d'effectuer à la fois un travail d'endurance et un travail de force. Néanmoins, ce sont deux processus distincts et dont les mécanismes d'adaptation neuromusculaires sont différents et souvent contraires. Ce conflit a été nommé "phénomène d'interférence" et explique le fait que le développement de la force soit affecté lorsque celle-ci est entraînée en même temps que l'endurance. Pourtant les résultats de la littérature ne sont pas unanimes quant à ce phénomène. Plusieurs facteurs semblent affecter les résultats observés comme le niveau d'entraînement initial des sportifs, le mode d'exercice, l'intensité, le volume, la fréquence d'entraînement et la planification des séances, ces trois derniers facteurs semblant jouer un rôle primordial.
En effet, certaines études ont montré qu'au delà de 3 entraînements hebdomadaires, un entraînement combinant endurance et force était néfaste pour les gains en force. Les mécanismes neuromusculaires liés au développement de la puissance et de la force explosive semblent être les plus touchés. À l'inverse, l'entraînement en force est bénéfique pour les performances en endurance.
Quelques études ont montré que les planifications non-linéaires ou ondulatoires où de courtes périodes de volume élevé sont alternées avec de courtes périodes de haute intensité permettent des gains supérieurs en force. A partir de ces différents constats, une équipe de chercheurs espagnols a examiné les effets d'une planification non-linéraire de 12 semaines combinant un entraînement de l'endurance et de la force sur des paramètres neuromusculaires et cardiovasculaires chez des kayakistes de haut-niveau. L'objectif était de minimiser un possible phénomène d'interférence.
Pour cela 11 kayakistes de niveau international dont 2 médaillés d'or aux J.O. de Pékin 2008 ont participé à cette étude. Avant de débuter le protocole d'étude, aucun entraînement spécifique de kayak et aucune séance de musculation n'ont été réalisés. L'étude s'est ensuite déroulée sur 12 semaines réparties en 3 phases (P1, P2 et P3) avec quatre sessions de tests (T0, T1, T2 et T3).
Chaque session de test était réalisée sur les 3 premiers jours de la première semaine de chaque phase. Le premier jour était consacré à l'anthropométrie et à un test sur ergomètre spécifique au kayak (Fig. 1). L'anthropométrie comprennait la mesure de la taille, de la masse corporelle, des plis cutanés (i.e., triceps brachial, subscapulaire, abdominal, quadriceps antérieur, mollet médial, supraspinal et biceps brachial), de circonférences (i.e., poitrine, avant-bras, cuisse et mollet).
Concernant le test sur ergomètre, les sportifs ont réalisé un test par incrémentation jusqu'à épuisement. Le test démarrait à 11.5 km·h-1 avec une incrémentation (i.e., une augmentation) de la vitesse de 0.5 km·h-1 chaque minute. Pour chaque kayakiste, les variables suivantes ont été déterminées durant les tests grâce à un analyseur de gaz :
La seconde journée était consacrée aux tests de force maximale pour les exercices de développé couché (Fig. 2) et de tirage vertical allongé sur le ventre (Fig. 3). L'objectif était de déterminer pour chaque sportif le 1RM sur ces exercices. Et durant la troisième journée, la puissance maximale était évaluée. Les kayakistes ont réalisé 2 séries de 3 répétitions à 45% du 1RM pour chacun des deux exercices avec pour consigne de maximiser la vitesse lors de la phase concentrique du mouvement. La vitesse moyenne des 3 meilleures répétitions a été retenue comme v45%.
Figure 1. Ergomètre Dansprint.
Figure 2. Développé couché.
Figure 3. Tirage vertical allongé sur le ventre.
Durant les douze semaines du protocole, les entraînements se sont réparties en 3 phases différentes. Chaque phase avait pour but le développement d'un paramètre lié à l'endurance et un paramètre lié à la force :
Les athlètes s'entraînaient chaque jour avec un jour de repos par semaine. Les sessions de force étaient placées avant les séances d'endurance, si cela n'était pas possible, 6 à 8 heures de récupération espaçaient les deux séances. Ci-dessous les programmes détaillés en endurance et en force.
Concernant les principaux changements observés en endurance, en 12 semaines (i.e., entre T0 et T3), les kayakistes ont amélioré significativement leur VO2MAX de 9.5% et leur V02 à VT2 de 9.4%, tandis que VT2 (% de VO2MAX) est revenu à sa valeur de départ (80.5% de VO2MAX) après avoir augmenté de 12.4% lors de P1 (ce qui s'explique par la diminution en P2 et P3 du volume de travail à VT2). De plus, la vitesse de déplacement a augmenté régulièrement tout au long des 3 phases pour une augmentation de 6.2% pour VMAX (passant de 14.5 à 15.4 km·h-1) et de 4.4% pour VVT2.
Concernant les principaux changements observés en force, en 12 semaines (i.e., entre T0 et T3), les kayakistes ont amélioré significativement leur 1RM de 4.2% au développé couché et de 5.3% au tirage vertical allongé, et leur v45% de 14.4% au développé couché et de 10% au tirage vertical allongé. Il est important de noter que c'est durant la phase 1, axée sur l'hypertrophie, que les kayakistes ont amélioré le plus leur 1RM (+9.7%). Ces gains ont été maintenus durant la phase 2, et c'est durant P3 que la chute des gains de force maximale a été la plus grande. Cela s'explique par la diminution importante du volume et de l'intensité de l'entraînement orientés vers la force maximale.
Le principal résultat de cette étude est qu'une planification non-linéaire d'entraînement de 12 semaines combinant à la fois un travail d'endurance et un travail de force a été efficace pour induire des améliorations significatives aussi bien en force et en puissance musculaire qu'en endurance. De plus, les valeurs élevées de 1RM, de VO2MAX et de V02 à VT2 montrent que les exigences physiologiques liées à la course en ligne en kayak sont très importantes.
Le protocole testé ici a montré son efficacité quant à l'amélioration de composantes cardio-vasculaires et neuromusculaires chez des sportifs de haut-niveau. Cette méthodologie pourrait servir à de nombreuses activités sportives où des aptitudes élevées de force et d'endurance sont requises.
Les chercheurs ont attribué ces résultats à différents paramètres. Le plus important selon eux est la prioritisation des variables travaillées lors de chacune des phases. Par exemple, le travail en hypertrophie n'a pas été associé avec celui de la puissance maximale aérobie, car ces deux variables mèneront à des adaptations physiologiques opposées. Alors que l'entraînement en hypertrophie est censé augmenter la synthèse protéique au niveau cellulaire, l'entraînement de la PMA requière que le muscle augmente ses capacités oxydatives. C'est pourquoi ces chercheurs ont couplé l'hypertrophie avec le travail de VT2 qui présentait une intensité plus faible et devrait causer moins d'interférence.
Quant au travail de la force / puissance maximale, cela peut être couplé au travail de la PMA, car les stimulus d'entraînement seront principalement orientés à développer les capacités neurales (e.g., augmentation du taux de recrutement des unités motrices, recrutement d'unité motrice à plus haut seuil d'excitabilité, etc.), ce qui ne provoquera pas de trop grandes contraintes métaboliques au niveau du muscle.
Copyright © Mariyan Dimitrov
Un second paramètre important à prendre en compte était la fréquence des entraînements en force. Une trop grande fréquence d'entraînement en force nuit aux gains de force dans des entraînements combinés. De plus, l'agencement des séances de force par rapport à celles d'endurance est un paramètre à ne pas négliger car une récupération insuffisante limiterait les adaptations à l'entraînement à la fois en force et en endurance. Il semble donc préférable de placer les entraînements de force avant les entraînements d'endurance ou d'espacer les séances de 6-8 heures pour une pleine récupération neuromusculaire et énergétique.
Enfin, lors des séances d'entraînement en force, les chercheurs ont insisté sur l'exécution explosive de chaque répétition avec comme objectif de maximiser la vitesse de phase concentrique et sur le fait d'éviter systématiquement l'entraînement jusqu'à l'échec musculaire dans le but d'une meilleure récupération pour les séances suivantes.
Nous remercions chaleureusement Mariyan Dimitrov pour la photographie qui illustre cet article. Mariyan (voir ci-contre) est un kayakiste bulgare de haut-niveau dont le palmarès compte une 7ème place aux Championnats du Monde de 2001 à Poznan (Pologne) en K4 sur 1000m, une 16ème aux J.O. de Sidney en 2000 en K2 sur 1000m et une 8ème place en Finale C aux Championnats du Monde de 2011 à Szeged (Hongrie) en K1 sur 200m.
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