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Comprendre, travailler et maîtriser son gainage

par C. Chery | 24 Juillet 2019

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Vous êtes-vous déjà demandé quelle était la meilleure manière de gérer votre gainage durant un soulevé de terre ? Un squat ? Un arraché ? De savoir comment synchroniser votre respiration en fonction de l’intensité et de la durée de l’effort à fournir ? Vous a-t-on un jour dit qu’il fallait "aspirer" son nombril pour bien se gainer, ou contracter intensément ses abdos de la même manière que sur un enroulement vertébra (crunch) ? Pas très efficace, n’est-ce pas ? Si vous avez répondu oui à l’une de ces questions, et que vous souhaitez en apprendre davantage sur ce que l’on nomme le gainage du centre du corps (le core), alors je vous suggère vivement de poursuivre votre lecture. Cet article a pour but de vous aider à développer un gainage fonctionnel, utile, tant pour un athlète issu d’un sport de force à des fins d’optimisation de la performance (Haltérophilie, Force athlétique, CrossFit, Strongman, etc.), que pour une personne sédentaire cherchant à se défaire d’une lombalgie chronique par le biais de l’activité physique (voir notre dossier sur le sujet). Ne vous attendez donc pas à y trouver un répertoire d’exercices destiné à sculpter votre sangle abdominale pour la plage. Même si les adaptations secondaires qui découlent de la mise en application des méthodes de travail détaillées ici auront un impact esthétique qui saura, j’en suis sur, être largement apprécié.

Sommaire :

I. Qu’est-ce que le gainage ? [Retour au sommaire]

Le "gainage", plus couramment désigné par la notion de "core" ou "core training" dans la littérature scientifique, revêt une importance capitale dans la pratique des activités physiques et sportives. L’intérêt de travailler son gainage fait généralement consensus auprès des pratiquants, des professionnels de santé, et du grand public. Pourtant, lorsque l’on creuse un peu, on s’aperçoit vite que pour beaucoup il s’agit là d’une notion un peu abstraite, vaguement définie. Comment alors travailler cette qualité qui semble pourtant fondamentale pour la santé et la performance, sans en connaître les tenants et les aboutissants ? Par souci de clarté, commençons donc par adopter une définition commune, qui servira de point de départ à cet article.

Dans le journal scientifique Sports medecine, Kibler et al. (2006) définissent le gainage comme "la capacité de contrôler la position et le mouvement au niveau du tronc (rachis) et du pelvis, afin de permettre la production, le contrôle et le transfert des forces aux membres supérieurs et inférieurs au cours du mouvement". À la vue de cette définition relativement large, transposable à de multiples activités (sportives ou non), on comprend bien que l’on ne peut parler de capacité de gainage au singulier, tant l’expression de cette qualité est multimodale et propre à un contexte particulier. L’intensité et la direction des forces appliquées au système (rachis et pelvis), ainsi que la position de maintien "idéal" de ce système va grandement varier d’un mouvement à l’autre. Parfois même entre les différentes phases d’un même mouvement ! Le complexe ostéo-articulaire rachis-pelvis étant un élément structural dit passif, n’offrant de résistance aux mouvements que lorsqu’il est placé en situation d’amplitude terminale (contact osseux entre deux extrémités articulaires, ou atteinte du seuil limite des systèmes ligamenteux), la stabilité de ce système se trouve en grande partie assurée par les muscles qui sont, eux, dotés de capacités contractiles. Sans ces derniers, la colonne vertébrale ne serait qu’un empilement de vertèbres instables, facilement perturbables (90 Newtons de force compressive suffirait à la désorganisation du système, soit bien moins que la force exercée par le poids du haut du corps !) (Akuthota, V., et al. 2018). Ainsi, le gainage musculaire est souvent présenté comme un cube, de manière à simplifier la compréhension des rôles des différents muscles impliqués dans cette stabilisation (Fig. 1).

Figure 1. Schématisation en cube des principaux muscles impliqués dans la stabilisation lombo-pelvienne.

Note : Le schéma ci-dessus ne fait état que d’une partie des muscles responsables du gainage lombo-pelvien. Ainsi, et même s’ils ont une influence majeure sur la stabilité et le contrôle pelvien, de grands groupes musculaires comme les fessiers ou les ischio-jambiers ne sont pas présents, car ils ne relèvent pas de ce que l’on désigne communément au travers du terme gainage du centre de corps. On notera également l’absence du muscle transverse de l’abdomen, dont la fonction particulière sera explicitée plus en détail dans la partie III.

Par ailleurs, une catégorisation des différentes contraintes de force, auxquelles le système lombo pelvien résiste, permet de rapidement identifier les différents muscles impliqués dans le mouvement, et donc d’objectiver la nature spécifique du gainage d’une activité. Ils sont ainsi classifiés en quatre grands groupes :

  • Anti-flexion
  • Anti-extension
  • Anti-rotation
  • Anti-inclinaison latérale

Le préfixe "anti" désignant l’action de contrer une force (caractérisée ici par le radical), sans pour autant forcément produire de mouvement (contraction isométrique). Ces forces déformantes, appliquées à notre cube, sont illustrées ci-dessous (Fig. 2) :

Figure 2. Illustration des quatre grands types de contrainte de force auxquelles le système lombo-pelvien doit résister.

Pour prendre l’exemple d’un mouvement dynamique, un swing en golf sollicitera le gainage du centre du corps à la fois dans des composantes d’anti-rotation, d’anti-extension et d’anti-inclinaison latérale. Concernant l’objet de cet article - les mouvements de force – l’anti-flexion est le type de gainage qui va principalement être sollicité lors de mouvements faisant appel à une extension des hanches avec contrainte de charge (squat, soulevé de terre). À ce stade, on ne saisit peut-être pas encore le rôle du diaphragme et du plancher pelvien dans les capacités de gainage. Nous allons y venir. Mais notez déjà qu’ils sont activés sur les quatre différentes formes de gainage (Fig. 2).

Un dernier élément à prendre en compte lorsqu’on aborde le sujet du gainage est l’aspect proprioceptif. La proprioception lire notre dossier sur le sujet), qui désigne la perception de la position et des mouvements de chaque segment du corps dans l’espace, donne au système nerveux les informations nécessaires à l'ajustement des contractions musculaires pour le maintien des postures et de l'équilibre. Elle va donc jouer un rôle central dans la performance des athlètes pour bon nombre de disciplines sportives. Mettre l’accent sur cette capacité sensorielle va donc revêtir un grand intérêt pour la préparation physique sportive, mais également en réadaptation fonctionnelle, pour traiter une grande majorité de cas de personne souffrant de problèmes de dos (voir notre dossier sur le sujet). Cependant, chaque activité génère ses propres demandes proprioceptives, auxquelles il est nécessaire de consacrer une analyse approfondie afin d’en connaître les spécificités et d’orienter le travail physique. Il n’existe donc pas d’exercices proprioceptifs transdisciplinaires, capables de répondre à toutes les caractéristiques d’une activité. En un mot, oubliez le "one size fits all" pour ce qui relève du travail proprioceptif.


II. Impact des capacités de gainage sur la santé et la performance [Retour au sommaire]

Bien que l’efficacité des exercices hyper-spécifiques ne soit plus à démontrer et qu’ils constituent une méthode rapide et efficiente en termes de transfert, l’intégration de tels exercices dans l’entrainement n’est pas à prendre à la légère, et requiert une certaine expertise pour ne pas induire d’adaptations techniques délétères à la performance sportive.

L’homme étant privé d’instinct, il n’a aucune idée à priori de la bonne manière de s’y prendre, entre autres pour soulever des poids. Il a donc essentiellement besoin de la culture physique, c’est-à-dire de s’inventer une seconde nature par les moyens de l’intelligence.
- E. Legeard

Maintenant que nous avons éclairci ce qu’était le gainage, penchons-nous sur l’intérêt qu’il présente dans la prévention des blessures, le traitement de certains cas de lombalgie, et pour la performance dans les sports de force. Nous avons vu, dans la partie précédente, en quoi les éléments musculaires et proprioceptifs permettent le contrôle de la position et du mouvement au niveau de la colonne et du bassin. Or, beaucoup de cas de lombalgies ont cela en commun qu’elles résultent de mauvaises positions répétées, impliquant une flexion, une extension ou une rotation excessive du rachis. En effet, si la colonne vertébrale est plutôt bien adaptée aux contraintes mécaniques lorsqu’elle se trouve dans sa zone de neutralité, elle l’est beaucoup moins lorsqu'on l'en sort. Le seuil de tolérance des structures osseuses, ligamentaires et tendineuses va donc varier en fonction de nos postures. Ainsi, le simple fait d’adopter quotidiennement des postures d’hyper-extension, d’hyper-flexion ou d’hyper rotation peut, à la longue, conduire à l’apparition de douleurs dorsales. Et ce sans qu’aucune charge autre que celle du poids du corps ne soit pourtant appliquée ! Simplement parce que le seuil de tolérance d’une des structures aura été dépassé par l’accumulation de microtraumatismes. Si de manière ponctuelle, les forces appliquées au niveau du rachis en dehors de sa zone de neutralité dépassent celle du simple poids du corps (comme cela peut être le cas lors d’un déménagement ou du travail en salle), il peut même suffire d’un seul épisode pour conduire à la blessure. Face à ce risque, beaucoup de personnes développent une phobie du mouvement, et tentent de trouver refuge dans l’inactivité physique. Autant le dire tout de suite, il s’agit là d’un remède pire que le mal. Si l’inactivité physique peut, à court-terme, être bénéfique pour enclencher les processus de régénération des structures lésées, elle va sur le plus long terme elle-même entrainer une dégénérescence des tissus (suivant le principe biologique ancestrale du "use it or lose it"). Notre corps étant conçu pour être naturellement en mouvement, se conduire comme une personne fragile fera inexorablement de vous une personne fragile. Mais alors comment un haltérophile, capable de manipuler des charges équivalentes à plusieurs fois sa masse corporelle, parvient-il à sortir indemne de la pratique quotidienne de tels mouvements ? La réponse tient en trois mots : placement, gainage, et régularité. Un bon placement est essentiel pour conserver ou retrouver un dos sans douleur, et devrait constituer l’un des premiers axes de travail thérapeutique à mettre en place. Le travail de placement et de posture commence par une bonne représentation mentale de ce à quoi correspond la zone de neutralité vertébrale (Fig. 3B), et des postures susceptibles de compromettre l’intégrité du rachis (Fig. 3A et 3C).

Figure 3. Illustration des postures de neutralité vertébrale (B), de ciseau fermé (A), et de ciseau ouvert (C) sur un mouvement de soulevé de terre.

Durant la phase initiale d’apprentissage posturale, il est possible de s’aider d’un miroir, d’un retour vidéo, ou tout simplement de quelqu’un (de préférence un professionnel du sport compétent) pour obtenir un retour sur votre placement. Une fois que cette posture de neutralité vertébrale est bien claire dans votre esprit (Fig. 3B), il va progressivement falloir cesser de dépendre de ces retours "externes", pour ne plus compter que sur les informations proprioceptives. Il est également intéressant d’associer les postures de ciseau ouvert et de ciseau fermé à votre "base de données proprioceptives", afin de détecter et de corriger rapidement toute déviation à la position neutre de référence. Une fois ce travail terminé, vous serez en mesure de conscientiser vos postures et vos placements à la salle de sport comme dans la vie quotidienne. Chaque mouvement se transforme alors en choix : adopter ou non une posture sécuritaire. Progressivement, ces alternatives posturales saines remplaceront vos anciennes postures à risque "par défaut". La répétition du travail de différents mouvements comme le squat ou le soulevé de terre permettront également à terme le développement d’un gainage fonctionnel, et de renforcer les structures osseuses, ligamentaires et musculaires de votre dos. Au travers d’une activité physique adaptée, on fait donc d’une pierre deux coups, puisque l’on réduit la fréquence d’exposition aux risques de mauvaises postures en modifiant certains schémas moteurs, tout en augmentant le seuil de tolérance mécanique des structures, les rendant plus résistantes en cas d’exposition aux postures à risque.

Un athlète issu d’un sport de force, s’il s’est entrainé de manière intelligente, aura normalement déjà acquis cette capacité proprioceptive et renforcé son dos. Cependant, le travail de gainage n’aura pas pour autant perdu son intérêt, bien au contraire. Les activités de force sont en effet très exigeantes, tant sur le plan physique que mentale, et ne tolère que très rarement la médiocrité dans le mouvement. Elles demandent de la part des athlètes de s’entrainer à des intensités très proches de leurs limites, et de tenter de les dépasser en situation de compétition. L’accumulation de fatigue, des récupérations parfois incomplètes, la confrontation à des charges maximales et supra maximales, l’utilisation de technique de déshydratation pour rentrer dans une catégorie de poids, etc., sont autant de facteurs de risques pouvant mener à la blessure. D’autant plus que sur les mouvements de force, le maillon faible de la chaine cinétique se trouve très souvent être la capacité d’anti-flexion lombaire, et ce malgré l’utilisation de ceinture de compression. D’un point de vue purement biomécanique, la bonne transmission de la force des membres inférieurs à la barre au travers d’une chaine cinétique n’est d’ailleurs optimisée qu’à la condition de posséder un centre de corps solide. Bien loin d’être inutile, le travail du gainage est donc un élément central de ces disciplines, autant pour performer que pour préserver son intégrité physique.

Pour aller plus loin : Low back disorders: evidence-based prevention and rehabilitation. Human Kinetics.


III. Les mécanismes anatomiques et physiologiques du gainage [Retour au sommaire]

Dans cette dernière partie, nous allons voir comment activer les leviers d’un gainage efficace et adapté au port de charges lourdes, ainsi que leurs mécanismes anatomiques et physiologiques.

1. La pression intra-abdominale [Retour au sommaire]

L’un des principaux enjeux d’un gainage du centre du corps efficace va être d’accroitre la pression interne de la cavité abdominale, afin d’augmenter la stabilité du rachis lombaire. J’utilise très souvent l’image de la bouteille avec mes élèves, pour leur expliquer l’importance de créer une pression intra-abdominale (PIA) durant les mouvements destinés à renforcer le bas du dos. Prenez une bouteille en plastique vide, dévissez le bouchon, et imaginez que vous tentez de la déformer. De toute évidence, la bouteille ne vous offre aucune résistance, et vous êtes en mesure de la plier sans effort. Maintenant, remplissez cette même bouteille d’air, et vissez le bouchon. Il devient alors très difficile de la déformer. Le même principe s’applique pour le gainage. Durant un effort demandant une stabilisation de la zone lombo pelvienne, la coordination synergique des différents muscles de l’abdomen pour créer une PIA va s’organiser de la manière suivante :

Le diaphragme (cloison musculo-aponévrotique séparant la cavité thoracique de la cavité abdominale) va, en se contractant, agir en véritable piston capable de créer une PIA (Hodges et al, 2000). En effet, même si le diaphragme est un muscle servant à l’inspiration, il s’avère également actif lorsque la stabilité de la colonne est perturbée (Hodges et al, 1997). Son niveau d’activation est modulé en fonction des demandes de la tâche motrice, en termes de production de force, de vitesse et d’équilibre.

En plus de leur rôle spécifique sur les différents types de contraintes de force auxquelles ils font face, et qui sont présentées dans la partie I (Fig. 2), les obliques internes, les obliques externes, le grand droit de l’abdomen, le transverse et les muscles carrés des lombes, ainsi que certains fascias, jouent un rôle commun de "gaine", afin de contrer l’expansion transversale de la masse viscérale (Akuthota et al., 2018). D’un point de vu respiratoire, notons également que ces muscles ont un rôle antagoniste de celui du diaphragme, puisqu’ils interviennent dans l’expiration forcée (Hodges et al., 2000).

Durant le gainage, le plancher pelvien va notamment permettre de bloquer l’expansion verticale de la masse viscérale. Situé entre le pubis et le sacrum et constitué de muscles et de tissus de soutien, le plancher pelvien joue un rôle majeur dans le maintien des organes du petit bassin et dans le contrôle urinaire et fécal. Un manque d’activation du plancher pelvien peut entrainer certains désagréments relativement fréquents chez les athlètes féminines, et pourtant peu évoqués : les fuites urinaires. L’étude de Bø (2004a) note ainsi que chez la femme, la prévalence de ce type de problème varie entre 15 et 55% selon l’activité, et est d’autant plus présent dans les sports générant de hauts niveaux d’impact au sol (gymnastique, trampoline, athlétisme, etc.). Le travail de la tonicité et du contrôle du plancher pelvien est donc essentiel, surtout chez la femme.

La modélisation du gainage sous la forme d’un piston permet de bien se figurer la synergie qui se crée entre différents muscles, pour créer une PIA (Fig. 4) :

Figure 4. Modélisation du rôle et de l’interaction des différents muscles du centre du corps dans la stabilisation et le gainage du centre du corps.

Afin de conserver un niveau de PIA stable, le blocage respiratoire durant la phase terminale de l’inspiration et une composante quasi obligatoire lorsque l’on s’attaque à des charges lourdes (> 85% de la charge maximale), ou lorsqu’une série se prolonge au point de mener à un faible niveau de répétition en réserve (Hackett et al. 2013). D’un point de vue physiologique, on va alors parler d’une manœuvre de Valsalva. La manœuvre de Valsalva (MV) se caractérise par un effort d'expiration contre des voies aériennes fermées, et se produit de manière volontaire ou involontaire, notamment lors d’épisodes de toux, d’éternuements, ou pendant le maniement de charge lourde. Ce blocage respiratoire entraîne une diminution momentanée du débit cardiaque, qui correspond au débit d’éjection de sang du coeur à chaque battement, ainsi qu’une augmentation de la pression sanguine. Ce qui peut entraîner une sensation de vertige ou d’éblouissement temporaire si la personne n’est pas accoutumée à cette manœuvre. Cependant, cette sensation de vertige disparait rapidement lors de la reprise d’une respiration normale. Ce réflexe naturel est d’ailleurs souvent utilisé en médecine pour traiter certains cas de tachycardie. Une étude publiée au Journal of Strength and Conditioning Reasearch (Hackett et al. 2013), s’étant intéressée à la sûreté de cette manœuvre durant les activités de renforcement musculaire, souligne que même si certains risques associés à la MV existent, la MV est un réflexe naturellement associé à ce type d’activité. Son utilisation ne devrait donc pas être découragée, au risque de compromettre la stabilité du rachis durant le mouvement, et d’augmenter le risque de blessure. Cependant, son emploi devrait être introduit de manière graduelle chez le débutant, et son utilisation restreinte aux phases les plus intenses de l’entraînement.

Il faut bien réaliser que cette technique de gainage représente un coût énergétique non négligeable. Premièrement au niveau de la charge mentale, par la concentration qu’elle requière pour coordonner les différents muscles impliqués dans cette action. Ensuite, de par la fatigue neuromusculaire induite par l’effort en lui-même. Et enfin, parce que cette technique demande un blocage temporaire de la respiration. Ce qui a pour conséquence de ralentir l’approvisionnement des muscles en oxygène et donc d’accélérer l’apparition de la fatigue. Il faut donc envisager cette technique comme un investissement en énergie, indispensable à la recherche de performance lors d’efforts maximaux (1RM ou sur les dernières répétitions d’un XRM), mais dont l’utilisation ne saurait être systématique à l’échelle d’une séance entière. L’athlète devra donc développer une approche stratégique concernant l’utilisation de cette technique, lorsque le volume de travail par série dépasse les deux à trois répétitions. Chris Duffin fait d’ailleurs l’analogie avec un thermostat pour illustrer le dilemme qui se crée durant l’effort, entre utiliser son diaphragme dans sa fonction de muscle respiratoire ou dans sa fonction stabilisatrice. Compte tenu de la nature et de la durée de l’effort, le réglage de ce thermostat diaphragmatique variera donc entre deux extrêmes :

  • Une utilisation exclusive de la fonction respiratoire : lorsque les demandes en termes de stabilité sont faibles et les besoins relatifs à l’approvisionnement en oxygène sont importants. Cette modalité se retrouve sur des efforts peu intenses (attention ici au sens du mot intense), de longue durée, où la contribution de la filière aérobie est grande (ex. marathon).
  • Une utilisation exclusive de la fonction stabilisatrice : lorsque les demandes en termes de stabilité sont très élevées, et que les besoins respiratoires sont faibles. Cette modalité se retrouve sur des efforts très intenses, de très courte durée, où la contribution énergétique de la filière anaérobie est prédominante (ex. tentative d’une 1RM).
  • Sur une série de huit répétitions à 80% de 1RM, il se peut donc que les premières répétitions soient effectuées en respiration libre avec une expiration dite forcée, pour bénéficier à la fois des fonctions respiratoire et stabilisatrice du diaphragme ; et sur les dernières répétitions de la série, là où les niveaux de fatigue sont élevés, passer le thermostat diaphragmatique en mode "full stabilisation", c’est-à-dire en blocage respiratoire complet.

Note : En musculation, l’utilisation de "rest pause" (courtes pauses prises à l’intérieure même d’une série) ont cela d’intéressant qu’elles permettent de reprendre son souffle avant d’initier un blocage respiratoire sur une répétition qui s’annonce difficile. En plus de permettre un certain degré de récupération neuromusculaire, cette technique fait donc partie des stratégies qu’il est possible de mettre en place pour concilier respiration et gainage, sur un effort à la fois intense et prolongé.


2. Conscientiser son gainage pour mieux le maitriser [Retour au sommaire]

En pratique, il ne suffit pas de connaître les mécanismes d’action qui viennent d’être détaillés pour automatiquement bénéficier d’une parfaite maîtrise de son gainage. Ressentir l’implication des différents muscles demande en effet du temps et de la pratique pour être optimisé. La tâche est d’autant plus difficile que l’on recherche ici à acquérir une maitrise consciente sur des muscles profonds, dont l’activation s’effectue la plupart du temps de manière inconsciente. Les exercices qui suivent vous permettront, dans un premier temps, d’activer ces muscles de manière isolée :

Activation du diaphragme : Comme nous l’avons vu, le diaphragme est un muscle respiratoire, intégré aux mécanismes de l’inspiration. Sa contraction permet de créer une dépression à l’intérieur de la cage thoracique. Cependant, deux motoneurones distincts permettent à la fois son activation de manière automatisée lors de la respiration (on ne pense pas à contracter son diaphragme à chaque respiration), et son activation volontaire lors du mouvement (gainage). La respiration abdominale et l’un des moyens le plus simple et le plus rapide pour s’entrainer à contracter volontairement son diaphragme. Pour cela, adoptez une position assise en placement vertébral neutre et tentez de respirer "par le ventre". Il est bien sûr anatomiquement impossible de remplir son ventre d’air, mais le simple fait d’en avoir l’intention vous permettra de rentrer dans un mode de respiration abdominale. Penser à bien relâcher la sangle abdominale pour permettre une expansion maximale du ventre. Les exercices ci-dessous vous permettront de mieux ressentir les points d’expansion clefs, que sont l’expansion antéro-postérieure (Fig. 5) et l’expansion transversale (Fig. 6).

Figure 5. Exercice visant à appréhender l’expansion abdominale antérieure (A) et postérieure (B), respectivement en position de décubitus dorsal (A) et de décubitus ventrale (B). Le but de l’exercice est d’élever la charge au moyen de la respiration. La manœuvre est à exécuter en position de neutralité vertébrale.

Figure 6. Exercice visant à appréhender l’expansion abdominale transversale. Le but de l’exercice est dans un premier temps d’enfoncer ses doits au niveau des obliques (ventre relâché), puis de les repousser au moyen d’une respiration abdominale. La manœuvre est à exécuter en position de neutralité vertébrale.

Activation de la sangle abdominale : Une fois la respiration abdominale maitrisée, il va vous falloir apprendre à bien contracter votre sangle abdominale. En effet, la contraction du diaphragme à elle seule ne suffit pas à créer une PIA. Si la sangle abdominale reste relâchée, aucune pression ne se crée (voir fig. 4). Pour créer une bonne PIA, il est donc nécessaire d’avoir une sangle abdominale tonique, afin de contrer l’expansion transversale de la masse viscérale. La problématique étant de savoir à quel niveau d’expansion générer cette tonicité abdominale. Cette question se pose, car comme pour tout autre muscle, la sangle abdominale est soumise à une relation entre ses capacités de force (ou de résistance), et le niveau d’allongement du système musculo-tendineux (muscles, fascias, ligaments) (Bobbert et al., 1990). Une contraction du transverse, des obliques et du grand droit de l’abdomen en situation d’allongement trop important ou trop faible par rapport à une longueur optimale, entrainera respectivement - au niveau des sarcomères - la création d’un nombre de ponts actines / myosines trop faibles ou, au contraire, trop importants. Résultant en une inaptitude de la part des muscles à résister à de hauts niveaux de tension. Il convient donc de déterminer quel niveau d’expansion permet de vous rapprocher le plus de cet "allongement optimal". Cela se traduit, en pratique, par le fait de s’entrainer à trouver le seuil de résistance à l’expansion sur lequel vous êtes capable de créer le plus de résistance.

Activation du plancher pelvien : Le travail de renforcement et de contrôle du plancher pelvien doit s’articuler autour de deux axes : un axe comportemental et un axe neuromusculaire (Bø, 2004b). Le premier consiste à conditionner une pré-activation du plancher pelvien (et notamment du périnée) juste avant un effort générant une PIA ou une réception au sol (impact), afin de rendre son intervention automatique. Le second consiste à renforcer ce muscle durant les efforts de gainage ou durant une activation volontaire simple (pouvant se faire n’importe où, à n’importe quel moment de la journée), de manière à progressivement augmenter ses capacités de résistances durant des efforts intenses. Pour activer volontairement votre plancher pelvien, il vous suffit d’avoir l’intention de retenir une miction de manière forte.

L’utilisation d’une ceinture de force peut parfois aider à mieux cerner le rôle de la PIA dans le maintien de la stabilité lombo-pelvienne, ainsi que l’implication du diaphragme et de la sangle abdominale. En effet, cet accessoire, initialement destiné à assister le travail des abdominaux et des spinaux sur des mouvements de force tel que le squat ou le soulevé de terre, peut également s’avérer être un excellent outil didactique. Placée autour de la taille, la ceinture agit en synergie avec la sangle abdominale pour contenir l’expansion transversale. En opposant une franche résistance à cette expansion, il devient plus facile de générer une PIA à l’aide du diaphragme, pour autant que l’intention d’exercer une force vers l’avant, sur les côtés, et vers l’arrière de la ceinture soit présente. Outre son aspect didactique, un des prérequis nécessaires à l’efficacité de cet accessoire est de maîtriser la contraction du diaphragme. Son action sur le gainage n’est donc pas automatique, et requiert déjà une certaine expérience. Ce qui explique que seuls les pratiquants intermédiaires à avancés peuvent bénéficier d’un gain de performance au travers de son utilisation.


3. Les impasses techniques [Retour au sommaire]

Cette manière d’appréhender le gainage du centre du corps va peut-être à l’encontre de ce que vous avez entendu dire, de ce que l’on vous a enseigné, ou des techniques que vous avez adoptées (consciemment ou non) au fil de votre pratique. Je vous propose donc maintenant de déconstruire les deux techniques de gainage d’anti-flexion les plus répandues dans les salles de sport, et de voir en quoi elles sont sub-optimales pour la santé et la performance par rapport à la technique proposée par cet article.

Rentre le ventre, aspire ton nombril !

Un des conseils que l’on entend le plus lorsqu’il s’agit de gainage est celui de rentrer son ventre ou « d’aspirer » son nombril durant l’effort. Si la fonction anatomique initialement visée est louable (tenter de créer une PIA via l’activation du muscle transverse), les résultats obtenus sur la stabilité et le gainage lombo pelvien n’en sont que médiocres. Lorsque le ventre est rentré, la masse viscérale remonte et le diaphragme se relâche, entraînant une diminution de la PIA. Le même principe est d’ailleurs utilisé en culturisme durant la pose « vacuum », dont l’objectif est de créer une aspiration en contractant le transverse tout en relâchant au maximum le diaphragme afin de faire remonter la masse viscérale. Créant ainsi l’illusion d’une taille extrêmement fine. Certes, les proportions d’une pose vacuum sont différentes de celles recherchées par ce que l’on entend généralement par « se gainer en rentrant le ventre », mais toujours est-il que les mécanismes physiologiques associés à cette intention demeurent. Par ailleurs, le niveau de raccourcissement musculaire et de mise en tension des fascias qui découlent d’une telle consigne ne permettent pas d’opposer une résistance suffisamment forte à l’expansion transversale de la masse viscérale, lors de la contraction réflexe du diaphragme durant un effort. Ainsi, tel une digue qui cède face à la montée des eaux, le temps nécessaire à la contention musculaire de la PIA par un niveau d’allongement musculaire optimal (relation force - longueur) peut suffire à faire basculer le rachis lombaire d’une position de neutralité à une position de ciseau fermé. Compromettant donc par là l’intégrité physique du pratiquant.

Cambre-toi plus, sors la poitrine !

Dernièrement, j’observais la technique de mouvement d’un de mes élèves, dont je m’occupe de la programmation. Je constatais alors qu’un détail avait changé dans la manière d’exécuter son soulevé de terre. Son placement, au niveau lombaire, était passé d’une position de neutralité vertébrale à une position d’hyper-extension. Je l’ai alors questionné sur ce changement pour savoir s’il avait consciemment modifié sa technique, et si c’était le cas, pourquoi ? Sa réponse fut qu’il avait voulu tenter ce changement postural sur les conseils d’un autre adhérent, et que cette nouvelle position semblait lui apporter plus de stabilité et de force sur son mouvement. Par ailleurs, ayant récemment expérimenté quelques douleurs au niveau du dos (intolérance à la flexion), cette position d’hyper-extension avait plutôt tendance à le rassurer, tout en gardant la douleur à quai. Cette stratégie posturale d’inversion des contraintes n’est pas totalement dénuée de pertinence, puisqu’elle est utilisée avec succès au sein de la méthode McKenzie pour réduire les douleurs dorsales. Elle n’est cependant pas adaptée à ce type de mouvement où les contraintes de charges sont importantes. D’autant plus que l’hyper-extension lombaire empêche la bonne activation du diaphragme durant l’effort, due à la perte d’alignement du diaphragme et du plancher pelvien. Essayez d’effectuer une respiration abdominale tout en étant cambré, et vous constaterez vous-même la difficulté de la tâche. Et ce qui est vrai pour l’hyper-extension lombaire l’est également à l’étage vertébral supérieur, avec l’hyper-extension thoracique (cf. "sors la poitrine !"). Dans ces conditions, il devient alors impossible de générer un bon niveau de PIA, et l’on ne se repose alors plus que sur la force des spinaux pour supporter l’effort d’anti-flexion. Groupe musculaire qui, rappelons-le, s’avère déjà souvent être le maillon faible de la chaîne cinétique. Pourtant, force est de constater qu’une grande partie des pratiquants de niveau intermédiaire en musculation finit souvent par adopter cette position d’hyper-extension lombaire et/ou thoracique. Cette technique vient dans la plupart des cas pallier un déficit des capacités de gainage en position de neutralité vertébrale, et peut à la longue s’avérer délétère pour la santé du dos, mais également pour la performance en elle-même. Certes, sur le court terme, elle peut être un raccourci vers des barres plus lourdes. Mais elle s’avère également être aussi une impasse technique lorsqu’on atteint un niveau plus avancé. Et le chemin parcouru en utilisant cette technique devra l’être à nouveau (mais en sens inverse), pour déconstruire cette technique sub-optimale et reconstruire de nouveaux schémas moteurs tout en développant la force et la coordination des muscles qui y sont associés. Car croyez-le ou non, tout le travail de renforcement des spinaux au monde ne compensera jamais un manque de PIA durant vos mouvements.

Pour aller plus loin :


IV. Conclusion [Retour au sommaire]

La capacité de gainage du centre du corps est un élément essentiel de la performance sportive et d’un dos sain et sans douleur. La mise en place de son travail nécessite donc une compréhension globale de ses mécanismes d’actions, mais également d’adopter une démarche de conscientisation du rôle et de l’implication des différents muscles dans le mouvement. Ainsi, durant le mouvement, la stabilité lombo-pelvienne est assurée de manière directe par l’action spécifique des muscles responsables de l’anti-flexion, l’anti-extension, l’anti-inclinaison, et l’anti-rotation ; et de manière indirecte par une participation musculaire générale à la création d’une PIA. Seule la combinaison de ces deux éléments, au travers d’une parfaite maîtrise des techniques détaillées dans cet article, permet d’optimiser l’efficacité du gainage du centre du corps. Étant donné le fait que deux fonctions anatomiques, indispensables à la production d’un effort que sont la respiration et la stabilisation lombo-pelvienne, soient toutes deux en partie assurées par le même muscle (diaphragme), nécessite la mise en place de stratégies afin de trouver le bon compromis d’utilisation entre ces deux fonctions. Ainsi, c’est bien la nature de l’effort (intensité et durée) qui va dicter les modalités du gainage du centre du corps lors d’une activité. Il est également important de réaliser que la démarche réflexive ayant attrait à l’intégration d’une technique de gainage à notre activité ne doit pas se baser exclusivement sur une démarche empirique (ou culturelle), qui serait uniquement dépendante des sensations perçues durant l’entrainement. Cette voix peut en effet mener à des impasses techniques dont certaines viennent d’être ici détaillées, et dont les conséquence sur le long-terme sont une inefficience technique et un risque de blessure accru.


Clément Chery Clément Chery
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Titulaire d’un Master of Sciences "Strength and Conditioning" obtenu à l’Université de Cardiff, je me suis spécialisé dans la préparation physique des disciplines à dominante force et puissance. Je m’intéresse de prés à ce qui touche à l’amélioration de la performance sportive, la réathlétisation et la nutrition. J’effectue une veille scientifique continue dans ces domaines en France et à l’international.


V. Références [Retour au sommaire]

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  9. McGill SM (2015). Low back disorders: evidence-based prevention and rehabilitation. Human Kinetics.
  10. Morin Y, Wainsten J-P, & Lemaire V. Larousse médical. Larousse, 2001.

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