En natation, la méthodologie d'entraînement implique généralement un volume et une fréquence d'entraînement très importants. L'objectif de ce volume élevé est d'améliorer les mécanismes physiologiques qui sous-tendent à la performance mais également la proprioception aquatique. De plus, du fait que la propulsion aquatique se fait principalement via les membres supérieurs, l'articulation de l'épaule est la plus touchée en terme de blessures (au moins 55% des blessures chez le nageur de compétition affectent l'épaule). Des études montrent que durant leur carrière sportive, 45 à 87% des nageurs sont touchés par une douleur à l'épaule. De plus, une étude a rapporté que sur 103 nageurs compétitifs de 13 à 18 ans, 85% considéraient que les douleurs aux épaules étaient normales et devaient être tolérées pour finir les entraînements, et 72% d'entre eux avaient recours à des médicaments contre la douleur.
La propulsion en natation se fait majoritairement par des muscles rotateurs internes de l'épaule, comme le grand pectoral et le grand dorsal, pour ne citer que les plus gros. Un renforcement important de ces muscles a généralement pour effet de diminuer l'espace sous-acromial et d'entraîner la tête humérale vers l'avant. Cette tension accrue sur l'avant de l'épaule cause également souvent une dyskinésie de la scapula, car les muscles stabilisateurs de la scapula se retrouvent en position étirée et s'affaiblissent. Tous ces facteurs augmentent le risque de blessures au niveau de l'épaule, et notamment le risque d'un conflit acromio-claviculaire. Mais qu'en est-il en natation ? Est-ce que l'entraînement de natation chez des adolescents a les mêmes effets sur l'articulation de l'épaule ?
Pour répondre à cette question, des chercheurs américains ont examiné l'évolution au cours d'une saison sportive de la position des épaules, de la tête et la distance sous-acromiale chez des nageurs compétitifs et des jeunes sportifs âgés de 13 à 18 ans dont la spécialité n'impliquait pas de mouvement de l'épaule au-dessus de la tête (groupe Contrôle). L'objectif était d'observer l'impact de l'entraînement de natation sur le positionnement de l'articulation gléno-humérale. Pour ce protocole, ils ont recruté 43 nageurs et 29 sportifs dans d'autres disciplines (football, piste et cross-country). Tous ces jeunes sportifs s'entraînaient au moins 4 fois par semaine, pendant 1 à 2 heures par séance. Tous étaient compétiteurs depuis plus de deux ans.
Pour ce protocole, les chercheurs ont procédé à 3 séances de mesure : la première avant le début de la saison sportive, la seconde après 6 semaines d'entraînement et la dernière après 12 semaines d'entraînement (et qui coincidait avec la fin de la saison sportive). Pour chacune des séances, les mesures étaient identiques et comprenaient une mesure de la distance sous-acromiale (i.e., la distance entre le dessous de l'acromion et le haut de la tête humérale) réalisée à l'aide d'ultrasons et une détermination de l'avancement de la tête et de l'épaule vers l'avant était réalisée à l'aide de marqueurs placés au niveau de C7, du tragus et de l'acromion. Pour toutes ces mesures, il était demandé aux participants de se tenir dans une position naturelle et relaxée. Pour chaque mesure, la moyenne de 3 essais était retenue.
Les principaux résultats de cette étude montrent qu'au cours d'une saison d'entraînement de natation, l'espace sous-acromial a significativement diminué au niveau des deux épaules des nageurs par rapport à celui des sportifs du groupe contrôle. De plus, les épaules des nageurs ont significativement plus avancé vers l'avant au cours des 6 premières semaines que celles des sportifs du groupe contrôle (Fig. 1).
Figure 1. Évolution des mesures de l'espace sous-acromial, de l'avancée de l'épaule et de l'avancée de la tête par rapport aux mesures effectuées au début de la saison.
Au cours de la saison, l'espace sous-acromial a diminué de 10.7% chez le groupe de nageurs alors que cette diminution n'a été que de 1.5% chez le groupe Contrôle. Le conflit acromio-claviculaire est souvent associé à une diminution de l'espace sous-acromial, et celui-ci peut être du à une mauvaise cinématique scapulaire. Chez le groupe de nageurs, le renforcement des muscles propulseurs semblerait se faire au détriment des muscles responsables de la stabilisation de la scapula (trapèzes moyens, rhomboïdes, élévateur de la scapula, dentelé antérieur) et pourrait, de plus, avoir un impact négatif sur les muscles stabilisateurs de l'articulation gléno-humérale (la coiffe des rotateurs).
Cette donnée est renforcée par l'avancée significative de l'épaule vers l'avant de 15% chez le groupe de nageurs alors qu'elle est inférieure à 1% chez le groupe Contrôle. Cette avancée de l'épaule vers l'avant peut s'expliquer par une tension et un raccourcissement accrus des muscles antérieurs de l'épaule comme le grand pectoral qui implique une abduction de la scapula, par conséquent, un étirement et un affaiblissement des muscles postérieurs de l'épaule, responsables de la stabilisation et de la mobilité de la scapula.
Les résultats de cette étude semblent montrer que l'entraînement de natation seul provoque une modification de la position de l'épaule, en diminuant l'espace sous-acromial et en augmentant l'avancée de l'épaule vers l'avant. Ces résultats sont en accord avec ceux d'une autre étude qui avait montrée le déficit de force créé par l'entraînement de natation en rotateurs internes et externes de l'épaule (lire cet article). Si ces résultats sont confirmés par d'autres études, cela implique qu'un travail musculaire spécifique des muscles mobilisateurs et stabilisateurs de la scapula et de la coiffe des rotateurs est nécessaire pour les nageurs de compétition afin de lutter contre les déséquilibres intrinsèques à la pratique.
Cette étude n'a malheureusement pas indiqué si la diminution de l'espace sous-acromial et l'avancée des épaules vers l'avant avaient causé ou non des douleurs à l'épaule aux groupes de nageurs. Toutefois, ce phénomène de douleur peut prendre plus d'une saison à se développer et le fait qu'il y ait modification du schéma corporel n'est pas forcément anodin. De plus, la mesure de l'avancée des épaules n'était pas des plus rigoureuses et nécessiterait un protocole beaucoup strict pour être certain de bien mesurer le déplacement et pas simplement une variation de la posture des participants au cours des différentes séances de test. Néanmoins, ce déplacement de l'épaule est observé par de nombreuses autres études, l'impact de la natation sur l'épaule semble donc bien réel.
Une étude de 2006 qui avait mis en place un travail visant le renforcement des muscles rotateurs externes, fléchisseurs et abaisseurs de l'épaule et des muscles rétracteurs de la scapula, sur 6 semaines, a montré qu'il était possible de diminuer l'avancée de l'épaule vers l'avant chez des nageurs. La vidéo ci-dessous illustre ce propos en vous expliquant les exercices à réaliser pour prendre soin de vos épaules.
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