Au travers de cet article, j’aimerais vous faire partager la manière dont j’envisage la recherche de performance en préparation physique, en détaillant en particulier les concepts de spécificité et d’entrainement fonctionnel. Cet article se fait surtout l’écho du constat d’un problème d’ordre sémantique commun, auquel le concept de spécificité se trouve régulièrement confronté : celui de la dissonance entre la définition initiale du concept de spécificité, et la représentation que s’en font bon nombre de préparateurs physique, de coachs et d’athlètes. Cette dissonance, liée à la difficulté de dissocier la spécificité des adaptations physiologiques de la spécificité d’un exercice, conduit nécessairement à la construction d’une idée fausse : l'implémentation d’exercices spécifiques dans la préparation physique de l’athlète est forcément gage de transfert. Pour beaucoup, la recherche de spécificité est devenue si importante qu’elle a supplanté celle de la recherche de transfert, pourtant primordiale. Pourtant, nous allons voir que les exercices spécifiques ne génèrent pas systématiquement une amélioration de la performance, et que certaines adaptations physiologiques spécifiques peuvent être obtenues grâce à des exercices dits "généraux". Cet article traite également d’un autre concept très utilisé, mais finalement peu compris, qui est le concept d’entrainement fonctionnel. J’ai longtemps été réticent à l’idée d’écrire sur quelque chose d’aussi peu tangible qu’une notion ou qu’un concept. En effet, s’attaquer à un concept est quelque chose de particulièrement ardu, étant donné qu’un concept englobe un ensemble d’objets et de définitions qui, prises individuellement, ne saisissent pas l’entièreté d’un phénomène naturel. Un peu à la manière d’un château de cartes, au plus un concept se base sur un nombre important d’objets, au plus il sera instable et sensible au souffle de la réalité. Cet article n’a donc pas pour objet d’explorer les plus hautes sphères théoriques des concepts de transfert, de spécificité, et d’entrainement fonctionnel, mais plutôt de produire une analyse proche des problématiques de terrain, avec comme fil d’Ariane quelques observations empiriques et scientifiques.
Initialement introduit par le Dr Yuri Verskoshansky sous le nom "d’équivalence dynamique", la spécificité d’un exercice se définie par son degré de ressemblance, en termes de sollicitations biomécanique et physiologique, avec une tâche motrice donnée. La spécificité d’un exercice doit donc être établi après une analyse rigoureuse et détaillée de la discipline, en considérant plusieurs axes :
Cependant, pour des raisons d’ordre pratique, on ne parlera quasiment jamais d’un exercice relativement à son "degré" de spécificité, mais on aura plutôt tendance à adopter une vision plus binaire des choses (spécifique ou non spécifique).
Le postulat qui est fait lorsque l’on implémente un exercice spécifique dans un programme d’entrainement est qu’il aura un impact bénéfique sur l’amélioration de la performance sportive, voire un impact prophylactique dans certains cas. Les notions de transfert et de spécificité sont donc intimement liées, la première ayant une influence directe et théoriquement proportionnelle sur la seconde. Je dis théoriquement, car bien souvent, nous ne sommes pas en mesure de connaitre l’effet d’un exercice sur la performance sportive d’un athlète, ni de mesurer la magnitude de cet effet a posteriori. Dans la majorité des cas, l’exercice considéré n’a pas fait l’objet d’une étude cherchant à déterminer son impact sur une habileté motrice particulière, et encore moins souvent à l’aide d’un protocole comparatif comprenant un ou plusieurs autres exercices. Par ailleurs, la performance sportive en situation de compétition est souvent quelque chose qu’il est difficile de mesurer de manière objective. C’est particulièrement vrai pour les disciplines impliquant la réalisation de tâches motrices dites "ouvertes", comme c’est le cas pour la majorité des sports collectifs.
Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui peut être compté ne compte pas forcément.
- A. Einstein
Certes, nous pouvons mesurer le temps de possession de balle d’un joueur, connaître assez précisément le nombre et la vitesse de ses sprints, et multiplier de manière quasi infinie le nombre de données quantitatives acquises en situation de compétition. Mais ces mesures sont-elles vraiment le reflet fidèle de la performance sportive ? Et même si nous pouvions vraiment mesurer cette performance, connaître le niveau de contribution d’un exercice en le dissociant des autres facteurs pouvant influencer la performance (environnementaux, psychologiques, nutritionnel, etc.) est quelque chose d’impossible. Sans compter le fait qu’il existe presque autant de manières de performer qu’il y a d’individus. Evan Peikon décrit d’ailleurs très bien la dynamique qui se crée entre l’épreuve, le potentiel physique de l’athlète et la stratégie d’approche adoptée. Philippe Marbot donne une traduction parlante de l’image utilisée par Evan, en disant que l’athlète en situation de compétition est confronté à un "casse-tête physiologique", qu’il doit résoudre de la manière la plus efficiente possible. Cette métaphore illustre bien le fait que pour une même épreuve, il existe une multitude de chemins pouvant mener à sa réalisation, et que chaque individu aura une manière préférentielle d’y arriver en fonction de ses forces et de ses faiblesses. Le rôle du préparateur physique peut donc se concevoir comme étant celui de donner à l’athlète un maximum d’armes adaptées à son profil, qu’il sera par la suite libre de réutiliser et d’exploiter pour performer dans sa discipline.
Le Dr Yuri Verskoshansky fut le premier à conceptualiser et à souligner l’importance de la spécificité dans l’entrainement, en parlant "d’équivalence dynamique" avec les caractéristiques mécaniques et physiologiques des gestuelles d’une discipline. Bien qu’idéalement établi à l’issue d’une analyse rigoureuse et détaillée de la gestuelle sportive et de l’exercice, la spécificité d’un exercice se trouve en pratique souvent déterminée subjectivement, faute de moyens, de temps, ou de connaissances. L’hypothèse de base, qui tend à se vérifier au travers de plusieurs études, est que la spécificité de l’exercice joue un rôle important dans le transfert vers la performance sportive. Pourtant, pour la majorité des exercices "spécifiques" utilisés à l’heure actuelle sur le terrain, la magnitude de ce transfert reste inconnue.
Le Dr Yuri Verskoshansky fut le premier à conceptualiser et à souligner l’importance de la spécificité dans l’entrainement, en parlant "d’équivalence dynamique" avec les caractéristiques mécaniques et physiologiques des gestuelles d’une discipline. Bien qu’idéalement établi à l’issue d’une analyse rigoureuse et détaillée de la gestuelle sportive et de l’exercice, la spécificité d’un exercice se trouve en pratique souvent déterminée subjectivement, faute de moyens, de temps, ou de connaissances. L’hypothèse de base, qui tend à se vérifier au travers de plusieurs études, est que la spécificité de l’exercice joue un rôle important dans le transfert vers la performance sportive. Pourtant, pour la majorité des exercices "spécifiques" utilisés à l’heure actuelle sur le terrain, la magnitude de ce transfert reste inconnue.
Bien que l’efficacité des exercices hyper-spécifiques ne soit plus à démontrer et qu’ils constituent une méthode rapide et efficiente en termes de transfert, l’intégration de tels exercices dans l’entrainement n’est pas à prendre à la légère, et requiert une certaine expertise pour ne pas induire d’adaptations techniques délétères à la performance sportive.
Quand deux actions motrices sont extrêmement proches, mais juste assez différentes pour rendre sub-optimal le pattern original, se crée alors une confusion qui diminue l’efficience neuromusculaire et détériore la technique d’exécution.
- C. Thibaudeau
Si l’existence du phénomène de confusion évoqué par C. Thibaudeau est loin d’être scientifiquement établi, celui-ci reste cependant fréquemment évoqué par bon nombre d’entraineurs. Les mécanismes à l’œuvre pourraient être potentiellement identiques à ceux intervenant lors d’exercices éducatifs, couramment employés pour corriger un défaut technique. Sauf qu’au lieu de générer des adaptations positives de la mécanique de mouvement, les modifications du milieu et/ou des niveaux de contraintes induiraient des altérations contre-productives. Même si ce phénomène de confusion au niveau des patrons moteurs n’est pas systématique, et dépend fortement des conditions d’encadrement des exercices hyper-spécifiques, il constitue tout de même un risque potentiel à connaître pour le préparateur physique.
À cet égard, l’étude de Maulder et al. (2008) s’est intéressée aux altérations cinématiques induites par l’application de différents niveaux de résistance sur la phase d’accélération initiale d’un sprint. Pour cela, dix sprinters ont effectué un total de 12 sprints. Quatre d’entre eux ont été réalisés sans résistance (SR), quatre autres contre une résistance correspondant à dix pour cent de leur masse corporelle (10%MC), et encore quatre sprints contre une résistance correspondant à vingt pour cent de leur masse corporelle (20%MC). Des données clefs dans l’analyse de la technique de course en sprint, tel que la longueur de foulée, le temps de contact au sol, le temps passé dans les starting-blocks, ou encore l’inclinaison du buste ont été mesurées pour chaque sprinter dans chacune des trois conditions expérimentales (SR, 10%MC et 20%MC). Les résultats de cette étude montrent que si les sprints réalisés avec la plus faible résistance (10%MC) ne semblent pas altérer la technique de course, ce n’est pas le cas avec une résistance plus élevée (20%MC). Ainsi, il a été constaté qu’une charge équivalente à 20%MC tend à augmenter le temps passé dans les starting-blocks, à diminuer la longueur de foulée, et augmente de 15% le temps nécessaire à couvrir la distance de course (10 mètres). Notons cependant que bien qu’instructive sur le plan de l’influence que peut avoir la pratique d’exercices ultra-spécifique sur la cinématique de mouvement, cette étude ne nous éclaire pas sur les adaptations techniques qui peuvent survenir sur le plus long terme.
Figure 1. Longueur de la foulée en fonction du niveau de contrainte de charge appliqué aux sprinters (d’après Maulder et al., 2008).
Nous conviendrons qu’un exercice, quel qu’il soit, ne reproduit jamais à 100% les caractéristiques mécaniques d’un geste sportif. Sinon quoi, il ne s’agit plus d’un exercice, mais du geste technique lui-même. Par ailleurs, contrairement aux exercices spécifiques, l’impact des exercices globaux sur la technique sportive n’est jamais évoqué. Pourtant, la mécanique d’un exercice spécifique se rapproche bien plus de celles de la gestuelle sportive, que celle d’un exercice global. Ainsi, un sprint réalisé en contrainte de charge se rapprochera toujours plus de la mécanique observable sur un sprint, comparativement à celle d’un squat ou d’un hip-thrust, et ce quel que soit la charge utilisée en contrainte. Alors pourquoi ne nous inquiétons-nous pas d’avantage de l’influence des exercices globaux sur les patrons moteurs ? La réponse se trouve dans le niveau de décontextualisations. La crainte qui est pressentie lors de l’implémentation d’exercices spécifique, est que l’amalgame se crée entre le schéma moteur de l’exercice et celui de la technique sportive, et que les perturbations mécaniques induites par une contrainte de charge mal dosée se transfèrent au mouvement sportif. Chose qui ne peut se produire avec deux mouvements bien distincts, où le cerveau (cortex moteur) dissocie clairement les deux gestuelles.
Au regard de leurs propres constatations, certains entraineurs déconseillent donc l’utilisation de procédés d’entrainements donnant lieu à des modifications cinématiques trop importantes. À cet égard, Jakalski (1998) suggère que les athlètes ne devraient pas être ralentis dans leur course de plus de dix pour cent de leur vitesse habituelle, à cause des modifications de la dynamique des appuis au sol qui en découlent. Ainsi, la résistance appliquée en contrainte à des fins d’augmentation de la production de puissance ne serait acceptable qu’à condition de ne pas engendrer de détérioration prononcée de la technique de course. Il faut noter que ces recommandations ne s’appliquent pas nécessairement à la phase d’accélération initiale de notre exemple précédent. Mon propos n’est pas non plus de décourager l’emploi d’exercices hyper-spécifiques, car ces exercices ont fait leurs preuves en termes d’efficacité et de transfert vers la performance sportive. Mais plutôt d’inciter le préparateur physique à la prudence, et à s’interroger sur ses capacités à identifier rapidement toute déviation au modèle technique initiale. Si sa connaissance du mouvement technique n’est pas parfaite, l’encadrement de tel exercice devrait être partagé avec un spécialiste de la discipline.
Outre l’éventuel impact au niveau des patrons moteurs, l’entrainement spécifique présente un second inconvénient à ne pas négliger, qui est le risque de dépasser les capacités de l’athlète à absorber une charge d’entrainement propre à un système physiologique. Ce dépassement des capacités de résilience peut se traduire dans le meilleur des cas par une absence de gain de performance et par une fatigue passagère. Dans un scénario plus sombre, et si ce stimulus inadéquat se répète de manière récurrente, on confronte l’athlète au risque plus grave de surentrainement. Mais alors en quoi le fait de confronter un athlète à un stimulus spécifique est t-il différent d’une confrontation à un stimulus aspécifique ? Pour comprendre cela, il faut considérer que les sessions de préparation physique ne font pas partie de l’activité première de l’athlète. La plupart du temps, les athlètes sont déjà confrontés aux exercices les plus spécifiques qu’ils soient, à savoir les contraintes et gestuelles de leur discipline. La fatigue étant un facteur global, le corps absorbe donc ces deux charges d’entrainement sans faire de distinctions : il n’existe pas de "jauges" de fatigue distinctes entre les sessions d’entrainement techniques et les sessions de préparation physique. Travailler une qualité physique de manière détournée, sans impliquer directement les systèmes spécifiques, devient alors parfois une nécessité plus qu’un choix de programmation. Et ce tout particulièrement durant les phases précompétitives, où la charge des entrainements techniques souvent est très élevée (Fig. 2). La bonne approche du développement de l’athlète est donc peut être de se concentrer un peu moins sur la spécificité de sa discipline, et plus sur des axes de développement connexes, utiles à la performance.
Figure 2. Évolution de la charge de travail et du nombre de blessure au cours d’une saison sportive de basket-ball (Anderson et al. (2003).
L’utilisation d’exercices spécifiques présente l’avantage de permettre un transfert rapide des gains acquis à l’entrainement vers une habileté motrice particulière. Cependant, leur utilisation implique de posséder des connaissances techniques poussées dans la discipline sportive concernée, pour n’induire aucune altération négative dans la gestuelle de l’athlète. Par ailleurs, une attention particulière doit être portée à la surveillance et à la gestion de la charge d’entrainement en fonction de la programmation, afin de ne pas dépasser les capacités adaptatives de l’athlète.
La nature est parfois facétieuse, et aime sortir des cadres bien délimités dans lesquelles le scientifique essaye de la ranger. Ainsi, chaque qualité physique est le fruit d’une interaction complexe entre différents systèmes physiologiques, qu’il est difficile d’appréhender de manière isolée. Si vous avez lu mon précédent article sur le Velocity Based Training, vous avez d’ailleurs pu remarquer que je ne m’attarde que très peu sur les éléments de nomenclature liée aux différentes zones de vitesse, comme la "force - vitesse", ou la "force – accélérative" (cf. Continuum Force – Vitesse de Bosco). En effet, même s’ils peuvent revêtir un aspect "pratique" pour le néophyte, ces éléments de langage ont tendance à distordre la représentation mentale que l’on se fait d’un phénomène naturel. Je ne vois pas non plus d’avantages pratiques et directs dans le fait de placer des délimitations subjectives sur un continuum de vitesse, dans la mesure où cela n’influence en aucun cas la nature des adaptations obtenues par le biais de l’entrainement. De plus, la suraccumulation de nouveaux termes et de définitions crée de la confusion sur des sujets déjà complexes, et génère souvent des débats stériles ou l’égo en vient à primer sur le débat de fond. Par ailleurs, même si ces tentatives de couplage entre phénomènes physiologiques et données pratiques ne sont pas entièrement fausses, elles ne sont pas non plus complètement justes. Il est donc bon de garder à l’esprit que, comme le dit Korzybski, la carte n’est pas le territoire (comprendre que les mots ne sont pas le reflet fidèle de la réalité). Car en voulant ainsi simplifier des phénomènes complexes, quelques "détails" passent obligatoirement à la trappe. La chose n’est pas grave lorsque l’on possède une bonne vue d’ensemble du contexte, mais elle le devient lorsque ces représentations deviennent la norme. Ce faisant, ces éléments de nomenclature simpliste peuvent tendre à écarter le préparateur physique des aspects concrets liés à son métier au lieu de l’en rapprocher, et l’amener à se créer une représentation mentale fantasmée des phénomènes naturels. Ainsi, quand cela est possible, il est préférable de s’en tenir à des valeurs numériques pour caractériser la production d’une force (N), d’une vitesse (m/s), d’une intensité (%1RM), ou de toute autre donnée relative à l’entrainement.
Dans cette partie, nous traiterons du problème induit par la "segmentation" des qualités physiques, ou plus précisément, de pourquoi le fait d’envisager un phénomène physiologique (ou une qualité physique) de manière isolée peut conduire à des erreurs de programmation dans l’entrainement. Pour prendre un exemple concret, penchons-nous sur le cas des tableaux de charges, mettant en relation des qualités de force avec des fourchettes de répétitions en musculation (Fig. 3).
Figure 3. Tableau de charges mettant en relation une intensité de travail, une fourchette de répétition et une qualité de force.
Dans l’absolu, il est vrai qu’une série de 6 à 15 répétitions, effectuée à une intensité de 60 à 85% de 1RM donne de meilleurs résultats en termes d’hypertrophie qu’une série de 1 à 5 répétitions effectuées à 80 – 100 % de 1RM. Inversement, une série de 1 à 5 répétitions développera mieux la force maximale qu’une série exécutée sur un rep-range de 6 à 15 répétitions. Mais il faut garder à l’esprit qu’il s’agit ici de valeurs moyennées, ne prenant en compte ni l’historique d’entrainement de la personne, ni les adaptations croisées qu’il est possible d’obtenir via ces différentes modalités de travail. En pratique, ces tableaux peuvent donner lieu à des incohérences dans l’entrainement. Il m’a d’ailleurs été donné d’observer l‘une d’elle dans une salle de sport universitaire, alors que j’attendais qu’un banc de développé-couché se libère. La personne utilisant l’emplacement désiré, visiblement débutante, employait un format d’entrainement qui m’aurait amusé si je n’avais pas eu moi-même quelques séries à faire. Ce type de format habituellement adopté par des powerlifters de niveau avancé, et comprenant un grand nombre de séries de deux à trois répétitions entrecoupées par de longues périodes de récupération. Or, si ce genre de format est pertinent pour développer la force des pratiquants les plus aguerrit, il l’est beaucoup moins lorsque l’on s’adresse à un pratiquant peu expérimenté. Cette tendance est nettement observable dans l’étude de Rhea et al. (2003). Cette méta-analyse, portant sur l’analyse statistique de 140 études, avait pour but la détermination de la dose - réponse optimale pour le développement de la force, en fonction de l’intensité et du volume d’entrainement utilisés. Les résultats de cette étude, résumés dans les graphiques ci-dessous, montrent l’importance de la prise en compte du niveau de pratique (et donc de l’individualisation) dans la programmation.
Figure 4. Dose-réponse pour le développement de la force, en fonction du nombre de série (gauche) et de l’intensité de travail (droite) (d’après Rhea et al. ,2003).
Notons cependant que la notion de "charge optimale" s’applique uniquement dans le contexte d’une étude ou d’un modèle théorique. Car trouver une solution optimale à un problème implique d’avoir à faire à un phénomène prévisible, où la relation entre cause(s) et effet(s) est totalement maitrisée (Jovanovic, 2018). Choses que ne se produit jamais en situation réelle, car chaque individu, chaque situation est unique, et fait émerger des problématiques originales. Ainsi, à moins de posséder une pierre d’infinité et de se projeter dans le futur (Avengers 3 : Infinity War), il sera impossible pour le préparateur physique de prédire la réaction d’un athlète à une charge d’entrainement, et donc de déterminer une charge optimale. Les "charges optimale moyenne" déterminées au cours des études peuvent donc servir de "caps" pour orienter le travail de préparation physique, à la condition qu’une ou plusieurs caractéristiques des participant matchs avec celle de vos athlètes. Mais ces caps doivent être assez flexibles pour s’adapter à la situation et pour faire face à l’imprévu.
Cette précision étant faite, penchons nous sur les résultats de l’étude de Rhea et al., (2003). La dose – réponse optimale pour le développement de la force semble être atteinte à une intensité moyenne de 60% de 1RM chez un pratiquant débutant, tandis qu’une charge avoisinant les 80% de 1RM semble mieux adaptée à un public plus expérimenté. Cependant, cherchons à comprendre le cheminement de pensée qui a conduit ce pratiquant à effectuer cette erreur stratégique dans son approche du développement de la force. Si l’on base une stratégie d’entrainement uniquement sur le principe de spécificité, la logique voudrait que les stimulus produits à l’entrainement répliquent ceux auxquels nous sommes confrontés en situation de compétition. La logique de cette approche voudrait donc bien qu’il s’entrainât avec des charges lourdes, connues pour stimuler les facteurs nerveux de la force, et avec des temps de repos élevés, permettant la réplétion complète des stocks de phosphocréatine et d’ATP. Pourtant, l’acquisition technique d’un mouvement requiert aussi d’être exposée à un haut volume de répétition, afin d’assimiler les différents points clefs du geste. La répétition d’un mouvement conduit à la familiarisation avec le geste, et permet d’adapter la technique à nos caractéristiques morphologiques propres. L’approche du développement de la force par un travail de coordination doit donc constituer la première entame de l’initiation du débutant, car elle constitue un axe de travail fondamental, permettant des gains rapides et une pérennité dans l’entrainement. D’un point de vue moteur, on peut également concevoir que la facilitation neuromusculaire qui permet de réduire le déficit de force chez le débutant est également mieux optimisée par l’emploi d’une stratégie d’efforts répétés (comparativement à celle des efforts maximaux). Ainsi, le débutant a tout intérêt à s’orienter vers une modalité d’entrainement comme le 4 fois 10 répétitions, s’il veut voir augmenter ses capacités de coordination intermusculaire et de synchronisation intramusculaire. On est pourtant ici bien loin des traditionnelles recommandations des tableaux de charges...
Du fait de leurs non-herméticités, il est possible de bénéficier d’adaptations "croisées" entre plusieurs qualités physiques. La passerelle entre force et coordination que nous venons d’aborder en est l’illustration. Un autre exemple d’adaptation croisée réside dans les différentes modalité d’entrainement de la puissance musculaire. La puissance se définissant comme étant le produit de la force appliquée par la vitesse de mouvement (P = F v), le développement de cette qualité peut s’obtenir en modulant ces deux paramètres. Cependant, la maximisation des qualités de force à l’entrainement passe nécessairement par la minimisation des qualités de vitesse, et vice versa (du moins pour ce qui est de la force maximale concentrique volontaire). Le caractère antinomique des qualités de force et de vitesse s’explique par le fait que chaque sarcomère, et donc par extension chaque fibre musculaire dépendent de la création de ponts actine-myosine pour générer de la force. Or, plus la fenêtre temps disponible à la réalisation du mouvement est grande, plus le nombre de ces ponts augmente, et donc plus la force développée est importante. Inversement, lorsque l’objectif est de générer la plus grande vitesse possible, un des facteurs clefs va être de former un minimum de ponts actine-myosine pour raccourcir au plus vite le sarcomère. Cette réalité physiologique, qui est à la base de la relation Force – Vitesse, implique que le développement de la puissance musculaire ne peut s’envisager qu’en naviguant entre les deux extrêmes suivants :
Cette variabilité ouvre un large champ de possibilités relativement au choix de la méthodologie d’entrainement, en fonction de la portion de la relation Charge – Vitesse ciblée.
Figure 5. Modalités d’entrainement communément utilisées en préparation physique à des fins d’amélioration de la performance, classées en fonction du niveau de sollicitation des composantes de charges et de vitesses.
J’ai ici volontairement utilisé le terme de "charge maximale", et non de "force maximale" dans le schéma ci-dessus, car la notion de force peut parfois être trompeuse. Quand on parle de force en mécanique, on parle du produit de la masse et de l’accélération. Mais il convient surtout de savoir où et comment mesurer cette force. La force musculaire étant quelque chose de difficilement accessible - à moins de placer des dynamomètres aux points d’insertion des muscles, chose que peu de gens sains d’esprit accepteraient – la mesure la plus couramment utilisée est celle de la force exercée au sol, car elle reste relativement simple à acquérir si l’on possède des plateformes de force. Cette méthode de mesure ne représente pourtant pas directement la force développée par les muscles (efforts internes). Par ailleurs, il est difficile de comparer des mouvements de natures différentes, impliquant des amplitudes articulaires et des modalités de contraction musculaires qui leur sont propres. Si la force appliquée au sol était utilisée pour effectuer ce classement (Fig. 4), il est clair que les mouvements plyométriques, balistiques, d’haltérophilie, et même certains mouvements sans charge additionnelle comme le sprint trusteraient la première place. Ne pouvant donc à proprement parler de force musculaire, faute de pouvoir véritablement la mesurer, il est plus correct d’employer le terme de charge. Ce schéma n’a donc pour objet que de présenter les différentes méthodes d’entrainement existantes qu’il est possible d’utiliser pour maximiser la production de force pour différentes vitesses.
Il est par ailleurs utile de relativiser l’importance donnée à la détermination et à l’utilisation de Pmax en préparation physique (Fig. 5), qui est un paramètre souvent surcoté dans l’entrainement en salle. Comme le détaille M. Jovanovic dans son article "The problem with (peak) power (calculus) - or why I don’t believe in this sacred cow", cette pratique comprend en effet des biais théoriques et méthodologiques importants. Le premier d’entre eux est qu’il existe une multitude de façons d’obtenir la puissance développée lors d’un mouvement, en fonction de la méthode de calcul, du référentiel de position, ou encore de l’appareil de mesure utilisé. Suivant les hypothèses et les paramètres choisis, cette mesure de puissance peut grandement varier. Ensuite, l’idée que de s’entrainer à un certain % de 1RM induit un meilleur transfert vers les qualités de puissance d’un mouvement sportif spécifique relève davantage du domaine de la croyance que de celui des faits scientifiques établis. En effet, si une valeur de puissance maximale à été estimé sur un exercice donné, comme le squat par exemple, rien ne nous dit qu’elle corresponde à celle développée sur un geste sportif spécifique. Et même si elles correspondent, la nature de l’explosivité d’un mouvement sportif est pour le moins complexe. En fonction du contexte, il existe parfois des variations importantes de la fenêtre de temps disponible pour développer de la force. Le départ d’un sprint, par exemple, s’effectue à partir d’un état d’inertie quasi total. Le temps d’application de la force dans les starting-blocks est donc bien plus important que pour un appui pris durant la phase ou la vitesse est maximale. Un entrainement bien construit se doit donc de prendre en compte cette réalité de terrain : les caractéristiques de force et de vitesse liées à l’expression de la puissance en situation de compétition ne sont pas figées ou unimodales. Ainsi, le préparateur physique a tout intérêt à tirer parti de plusieurs méthodes (Fig. 5), pour développer la puissance de ses athlètes, au lieu de chercher LA meilleure méthode.
Note : Toutes les interactions entre les différents systèmes physiologiques de l’effort sont encore bien loin d’être connues. En terme d’adaptation croisée, on peut également citer en exemple l’avantage que procure le travail de force pour le sportif en endurance, notamment au niveau de la diminution du coup énergétique (Millet et al. 2002, Støren et al. 2008) ; ou aussi des bénéfices, en termes de récupération, que peut recevoir un athlète de force travaillant de temps à autre son système aérobie.
L’expression de la performance sportive est la résultante du travail coordonné de plusieurs systèmes physiologiques complexes, et non le fruit du travail d’un système isolé. De la même manière, certaines adaptations obtenues par le biais de l’entrainement peuvent être obtenues via des modes de stimulation aspécifique, de par l’influence mutuelle entre ces différents systèmes. Ainsi, aborder le travail de préparation physique au travers du seul prisme du principe de spécificité ne permet pas d’optimiser le développement des qualités athlétiques.
Le phénomène de surcompensation, qui est à la base de toute adaptation liée au processus d’entrainement, a largement été utilisé pour expliquer la résilience des systèmes biologiques face à un stress physique. Matveyev s’appuie d’ailleurs sur ce phénomène pour expliquer et justifier ses théories de la périodisation et de la planification de l’entrainement. Le cycle de surcompensation se caractérise par l’interaction entre une charge de travail et les processus de récupération. Il est initié par un stress physique, qui va être l’élément déclencheur d’une cascade de réponses physiologiques destinées à rétablir un état d’équilibre (homéostasie). Les différents éléments théorisés du cycle de surcompensation sont représentés dans le graphique ci-dessous, présent dans la quasi-totalité des manuels d’entrainement contemporain.
Figure 6. Cycle de surcompensation, montrant l’évolution de la capacité de travail après une charge de travail.
Ainsi, à l’issue d’un stimulus initial survient la première phase du cycle de surcompensation, caractérisée par un état de fatigue (central et périphérique) proportionnel à la magnitude du stress appliqué. Cette phase aigüe met en jeu les mécanismes de récupération du corps qui vont permettre, à l’issue de cette phase (et si aucun autre stress n’intervient à nouveau) de rétablir les capacités physiques de l’athlète. Tout stress étant vécu comme une "attaque" pouvant potentiellement mettre en jeu la survie de l’individu, le corps va alors chercher à mieux se préparer, en prévision d’une seconde confrontation au stress de la phase 1. Il va donc renforcer spécifiquement les systèmes précédemment sollicités. En effet, nos processus adaptatifs ne sont pas naturellement orientés pour améliorer nos performances dans un sport donné, augmenter la masse musculaire, ou diminuer le pourcentage de masse graisseuse. Notre vie moderne les détourne de leurs fonctions premières, pour répondre à des préoccupations moins vitales, d’ordres récréatifs, esthétiques, ou de santé. Enfin, après un certain temps passé sans nouvelle confrontation à un stress de même nature, les adaptations acquises dans la phase de surcompensation régressent progressivement jusqu'à retrouver leur niveau initial (de préstimulation).
Cependant, il est bon de noter que ce modèle se base en grande partie sur la dynamique de déplétion / réplétion de substances biochimiques comme la phosphocréatine ou le glycogène musculaire (Issurin, 2010). Il ne fait donc état que d’une partie des systèmes de récupération, car il ne rend pas compte de la récupération du système nerveux central. Par ailleurs, chaque individu diffère par ses potentiels physiques. Cela s’illustre aussi bien par les capacités physiques de base, en termes de motricité, de force, de puissance ou d’endurance, que par la variabilité de la magnitude et de la durée des phases 1, 2 et 3 du cycle de surcompensation. Bien sûr, ces différences ne s’expliquent pas entièrement par des facteurs d’ordres génétiques, et d’autres facteurs comme la personnalité, l’environnement social, ou le passé sportif entrent également en jeu. Mais le fait est que ce modèle de surcompensation présente quelques failles, qui le rendent quasiment inutilisable pour le praticien. En ce sens, l’étude de Hubal et al. (2005) permet de mieux appréhender la grande diversité des réponses adaptatives de l’être humain face à un même stimulus. Les chercheurs impliqués dans cette étude ont comparé les différences de gains, en termes de force et d’hypertrophie, chez 585 individus entrainés ayant participé à la même routine de musculation pendant 12 semaines (travail unilatéral des fléchisseurs du coude). Les résultats de cette étude montrent un gain de force moyen de 54%. Surtout (et c’est là le plus important), ils affichent une grande variabilité interindividuelle de la magnitude des gains de force, allant de 0 à 250 % ! Les modifications au niveau de l’aire de section transversale musculaire présentent également un haut niveau de variabilité, allant de 2 à 59 % (Fig. 7).
Figure 7. Changement de l’aire de section transverse du bras entrainé par rapport aux mesures initiales de référence. Les mesures caractérisées par les barres noires représentent celles relevées chez les hommes, tandis que les barres blanches représentent les mesures relevées chez les femmes (d’après Hubal et al., 2005).
Sans même parler du transfert d’une activité vers une autre, on constate déjà que l’entrainement sur un mouvement spécifique produit un spectre d’adaptation très large et variable selon les individus ! Cette grande diversité n’est pas uniquement constatable pour les qualités de force ou d’hypertrophie, mais se vérifie pour quasiment toute autre qualité physique mesurable. La recherche d’un transfert optimal ne peut donc se limiter au principe de spécificité seul, et doit obligatoirement prendre en compte les caractéristiques propres aux athlètes. C’est d’autant plus vrai lorsque l’on s’adresse à des athlètes de haut niveau, déjà habitués à la plupart des stimulus et donc confrontés au phénomène des retours diminués.
Quand un tube de dentifrice est plein (athlète peu entrainé), peu importe où vous appuyez sur le tube (peu importe la manière dont vous vous entrainez), vous aurez du dentifrice (une amélioration de performance). Mais après avoir atteint un certain niveau d’entrainement, quand le tube de dentifrice est presque vide (fenêtres d’adaptation réduites), vous devrez presser le tube de manière très spécifique et très ciblée pour en retirer de la pâte.
- J.B. Morin
Ainsi, il est fort probable que faire progresser le squat d’un rugbyman de 200 à 210 kg en l’espace de six mois n’aura que peu d’impact sur sa performance globale en rugby. En effet, ce joueur aura sûrement déjà tiré tous les bénéfices de ce mouvement et de cette modalité de travail en termes de transfert. Le ratio entre le temps investi et la magnitude de retour sera donc sûrement très faible. Ce joueur aura donc tout intérêt à explorer d’autres exercices s’il veut continuer à progresser. Inversement, la pratique de la musculation en salle pour un footballeur dont l’historique d’entrainement se résume à quelques heures passées sur un coussin de proprioception aura sûrement des conséquences positives sur sa performance sportive (Nous vous conseillons d'ailleurs la lecture du dossier d'Olivier Allain sur le sujet).
La vitesse et la magnitude d’adaptation à une charge d’entrainement varient grandement d’un individu à l’autre, et impliquent une régulation constante des paramètres de l’entrainement. Cette régulation est nécessaire pour ne pas excéder les capacités adaptatives d’un individu et donc pour ne pas compromettre sa récupération, ou au contraire, pour éviter qu’une charge de travail soit trop faible pour induire les adaptations désirées. L’individualisation de l’entrainement et la prise en compte du profil de l’athlète est donc capitale dans la programmation de l’entrainement.
À l’instar du concept de spécificité, le concept d’entrainement fonctionnel a beaucoup souffert de sa popularisation, à tel point que l’amalgame est souvent fait entre ces deux termes. Depuis que l’industrie du fitness s’est approprié ce terme, et l’utilise à toutes les sauces comme élément de marketing pour vendre du service, du matériel ou des programmes d’entrainement, le mot a progressivement perdu de son sens. Pour beaucoup, l’entrainement fonctionnel se caractérise forcément par l’utilisation d’exercices complexes, voir fantaisistes, dont l’utilité reste souvent inaccessible au commun des mortels. Mais rassurez-vous, 95% des personnes en salle faisant des squats sur un bosu ne savent pas elle-même ce qu’elles font, et n’ont souvent pas les bases techniques pour exécuter un squat propre sur une surface stable. Rappelons donc qu’à l’inverse d’un exercice spécifique, un exercice n’est pas fonctionnel en soi, car cet adjectif a besoin de deux autres référentiels pour avoir du sens : l’individu et la fonction motrice concernée. Ce concept s’intéresse davantage à l’impact qu’un exercice aura sur la performance sportive, qu’aux modalités de l’exercice en lui-même (mono / bi-articulaire, unilatéral / bilatéral, spécifique / global, etc.). Suivant le contexte, un exercice peut être (ou ne pas être) fonctionnel.
L’entrainement fonctionnel n’est pas nécessairement déterminé par la manière dont on obtient un résultat (ex. exercices spécifiques), mais se caractérise par la recherche de performance en elle-même, résultant de l’utilisation de méthodes d’entrainement à la fois générales et spécifiques.
- MC Siff (2002)
Le concept d’entrainement fonctionnel est donc plus large que celui de l’entrainement spécifique, puisqu’il englobe à la fois les caractéristiques spécifiques à la discipline et celles de l’athlète. On ne peut donc parler d’entrainement fonctionnel sans passer par les trois phases d’analyses suivantes :
Cette approche de l’entrainement fonctionnel nécessite donc de réduire la performance à certains aspects, pour pouvoir mettre au point un programme d’entrainement répondant à la fois aux demandes spécifiques de la discipline et aux besoins de l’athlète.
S’il est facile d’envisager qu’un exercice spécifique soit fonctionnel, c’est-à-dire qu’il produise des adaptations positives sur la performance d’un athlète, il peut être plus compliqué de se représenter les cas pour lesquels un exercice aspécifique s’avère être fonctionnel. Prenons donc un exemple ou les gains de force acquis sur un mouvement global, tel un développé-couché, peuvent se traduire par une amélioration de la performance d’une action motrice spécifique comme un direct en boxe. Pour cela, commençons par comparer les spécificités techniques de ces deux mouvements.
Il faut d’abord réaliser que la technique du développé-couché s’est construite non pas dans l’optique de générer un transfert optimal vers d’autres qualités athlétiques, mais bien pour satisfaire le besoin de performance de sa discipline originelle : la force athlétique. Elle est donc le fruit d’une recherche empirique d’athlètes et d’entraineurs, dont la préoccupation principale se résume à déplacer la charge la plus élevée possible dans le respect du cadre réglementaire en vigueur. Toutes les consignes de placement enseignées dans les clubs de force athlétique, les salles de musculation, et dans les formations professionnelles ont donc pour seule finalité la performance sur le mouvement en lui-même. Pour maximiser la performance au développé-couché, l’athlète doit donc respecter certains points techniques clefs destinés (entre autres) à réduire l’amplitude de mouvement et à créer une surface d’appuis stable pour la poussée. Communément utilisées en compétitions, on retrouve les principales techniques de placement suivantes :
L’étude de Filimovov et al. (1985) montre que la magnitude de la force exercée au point d’impact d’un direct en boxe est la résultante de la transmission des forces au travers d’une chaine cinétique particulière, séquencée de la manière suivante :
La contribution de chaque élément de cette chaine cinétique à la production de force à l’impact d’un direct a été quantifiée au cours de cette étude :
Figure 8. Contribution (%) de chaque élément de la chaine cinétique d’un direct à la production de puissance d’un coup, en fonction du niveau de pratique (d’après Filimovov et al., 1985).
Au regard de ces résultats, il devient clair que la production de puissance d’un direct chez un athlète de haut niveau est largement dépendante des qualités d’explosivité de la triple extension des membres inférieurs (38%), de rotation du tronc (37%) et, dans une moindre mesure, de l’extension de l’épaule et du coude (24%). De telles études sont d’une grande importance pour le praticien, car elles permettent de mieux comprendre le geste sportif et de mettre en lumière des éléments qui peuvent paraitre contre-intuitifs au premier abord.
Que nous apprennent ces résultats sur le plan de la spécificité biomécanique du développé-couché par rapport à un direct ? Si l’on compare les caractéristiques mécaniques d’un développé-couché aux critères d’efficacités d’un direct, on peut se rendre compte qu’à bien des égards, le développé-couché présente un très faible niveau de spécificité par rapport à ce mouvement :
Pour résumé, le développé-couché ne travaille donc qu’une portion réduite de la chaine cinétique qui, au mieux, n’intervient que pour 24% de l’efficacité globale d’un direct. Cependant, et malgré son faible niveau de spécificité, le développé-couché peut, dans certain cas, être à l’origine d’une amélioration de performance et donc être qualifié d’exercice "fonctionnel".
Une chaine est aussi forte que son maillon le plus faible
Si vous êtes dans le milieu de l’entrainement et de la préparation physique, il se peut que vous ayez déjà entendu ce célèbre adage. Ainsi, concevoir la dynamique des forces à l’œuvre dans la réalisation d’un mouvement sportif comme une chaine "cinétique", permet de se figurer l’implication des exercices "spécifiques", "globaux" et "d’isolations", dans ce produit final qu’est la performance sportive. Les exercices spécifiques ont pour avantage d’impliquer la quasi-totalité des maillons de la chaine, et de les faire travailler d’une manière très proche de celle du mouvement compétitif de référence, notamment du point de vue de la coordination et des vitesses d’exécution. Les exercices globaux, plus décontextualisés, n’impliquent souvent qu’un nombre plus restreint de maillons spécifiques du mouvement sportif de référence, mais peuvent permettre de cibler ces derniers de manière plus intense. Ils présentent donc un avantage certain par rapport aux exercices spécifiques lorsqu’il s’agit de renforcer un point faible de la chaine (ex. extension de hanches). Les exercices d’isolation sont en quelques sorte le scalpel du préparateur physique, puisqu’ils ne ciblent qu’un nombre encore plus restreint de muscles, et ce de manière totalement décontextualisé. Ils ne sont intéressants que lorsque l’on pense avoir isolé un point faible particulier (ex. les rotateurs externes, adducteurs, etc.). Pour cette raison, ils sont souvent utilisés à des fins prophylactiques ou de réathlétisation. Ils présentent également l’avantage de dissiper moins d’énergie sur des éléments ne faisant pas partie de la chaine spécifique, comme peuvent le faire les exercices globaux. En effet, il ne faut pas oublier que chaque athlète possède un capital d’énergie disponible limité, qu’il convient de le dépenser sur les éléments présentant le meilleur retour sur investissement (i.e. les maillons spécifiques).
Pour en revenir à notre situation, un développé-couché pourra donc être fonctionnel dans l’optique du développement de la puissance de frappe de l’athlète, si est seulement si il répond au besoin de combler un déficit de force sur le pattern de poussée horizontale. Car ce mouvement, bien qu’ayant un niveau d’équivalence dynamique globale relativement faible, s’avère particulièrement intéressant lorsqu’il s’agit de renforcer et développer la puissance des triceps, deltoïdes antérieurs, pectoraux et rotateurs internes de l’épaule. La position et le rôle aspécifique des scapulas sur le banc permettent de générer une stabilité proximale utile au développement de la puissance des muscles précédemment cités, tout en conservant une instabilité distale intéressante. Par ailleurs, l’utilisation de différente variantes du développé couché dans la programmation permettra de créer une stimulation plus complète, et plus spécifique au mouvement sportif de référence.
Ce dernier point soulève l’une des principales limites du concept d’entrainement fonctionnel : l’évaluation fonctionnelle. L’entrainement fonctionnel n’est en effet viable que si l’on est en mesure d’objectiver un problème particulier, de le quantifier au moyen de tests spécifiques et de normes comparatives adaptées. Dans le cas contraire, il y a de fortes chances que l’on vous rétorque que vous ne mesurez pas, mais que vous supposez (if you are not assessing, you are guessing).
L’esprit humain est capable de réaliser des opérations non calculables.
- A. Turing
C’est pourquoi, en parallèle du processus de sélection rigoureux des tests à mettre en place, je vous conseille d’entrainer vos capacités à bien supposer. Cette approche, plus phénoménologique, vous demandera d’aiguiser votre instinct, votre œil, et de développer une empathie "physique" avec vos athlètes. Un peu à la manière dont procède le fascinant coach Jonas Dodoo avec ses sprinters, dont l’approche consiste à coupler des connaissances poussées en biomécanique du mouvement avec de très bonnes capacités d’observation. Il résulte de cette combinaison particulière une compétence à analyser, détecter et corriger des détails techniques précis dans la mécanique de course de ses athlètes. Cette analyse peut également être conduite via l’utilisation de procédés technologiques (plateformes de force, système d’analyse 3D, etc.). Mais cette voie demande beaucoup plus de temps pour recueillir, traiter et analyser les données. Malgré une analyse plus précise de la mécanique de mouvement, les résultats obtenus par cette méthode perdent souvent en pertinence. En effet, que ce soit pour le coaching technique ou pour la préparation physique, le feedback n’a souvent d’importance que s’il est donné dans le moment présent. Par ailleurs, penser que l’on puisse tout objectiver, tout quantifier au moyen de tests est une chimère qui ne dure que le temps de l’apprentissage théorique, et qui passe rarement l’épreuve de la pratique. S’il est vrai que certains tests présentent un intérêt certain, et permettent d’obtenir à des informations inaccessibles autrement (ex. profils F – V), on ne pourra malheureusement pas inclure un nombre infini de tests dans un nombre fini de séances. À titre d’exemple, le FMS est un excellent test pour dépister les problèmes de mobilité et de stabilité sous-jacents, mais sa réalisation demande du temps, en particulier lorsqu’il doit être mis en place à l’échelle d’une équipe. Je lui préfère l’approche de Kelly Starrett (Starrett & Cordoza, 2013), axée sur un screening plus dynamique, directement intégré à la séance. Et de voir ainsi l’entrainement comme une opportunité de juger des capacités de l’athlète au jour le jour. Il s’agit d’un screening moins formel, certes, mais tout aussi efficace. Par ailleurs, l’utilisation de tests standardisés et de matériel technologique dernier cri ne garantit pas non plus d’accéder aux informations qui vous intéressent. N’oublions pas non plus qu’un athlète est un être sensible. Pas dans le sens où il versera une larme devant "The notebook", mais dans celui où il perçoit les phénomènes neuromusculaires que nous essayons d’appréhender au travers de ces tests. Pour peu qu’on l’aide à ressentir, distinguer et exprimer les manifestations physiques de ces phénomènes, le préparateur physique s’offre alors un accès direct à un nombre important d’informations utiles. Distinguer la nature d’une douleur pour remonter à sa source (musculaire, tendineuse, articulaire, etc.), estimer précisément un niveau de répétition en réserve ou son niveau de fatigue générale est une faculté qui s’apprend et s’exerce. L’efficacité de cette méthode d’acquisition de l’information est gouvernée par la qualité de la relation et du dialogue entretenu avec l’athlète. Ainsi, même si certains problèmes particuliers demandent d’être objectivés au moyen de tests standardisés, il n’y a pas de mal à introduire un certain niveau de subjectivité dans l’approche de l’entrainement fonctionnel.
L’entrainement fonctionnel est un concept qui a pris beaucoup d’importance dans le milieu de la préparation physique ces dernières années, notamment sous l’influence d’auteurs comme Mike Boyle ou Gray Cook. Pourtant, ce concept reste majoritairement mal compris du grand public qui tend à l’assimiler à certains types d’exercices, au lieu de le voir comme un système d’analyse et d’individualisation de l’entrainement. Quel que soit l’objectif ou la fonction visés, que cela soit pour une recherche de performance, de santé ou de réathlétisation, l’entrainement fonctionnel est avant tout basé sur une réflexion tenant compte de la relation entre des caractéristiques propres à un individu et une activité (fonction) particulière.
La recherche d’une hyper-spécificité systématique dans un programme d’entrainement est à mon sens contre-productive, du moins lorsqu’elle est dictée par une volonté de mimétisme pure et simple de l’activité motrice concernée. Lorsque la spécificité d’un exercice est envisagée de manière binaire (spécifique ou non spécifique), en fonction de son niveau de rapprochement au geste sportif, elle devient alors trop restrictive. Cependant, si l’on conçoit l’efficacité d’un geste sportif non plus comme la résultante d’une qualité unique (force, vitesse, endurance, etc.), mais comme la conjonction de plusieurs qualités différentes, alors il devient possible de segmenter le travail de cette qualité en "strates". Cette approche du concept de spécificité favorise le ciblage de différents éléments clefs de la performance au moyen de plusieurs exercices, plutôt que de chercher à reproduire les gestuelles et contraintes de l’activité dans un seul et unique exercice. Ainsi, la spécificité de la mise en place d’un travail physique ne peut s’envisager qu’à l’échelle d’un mésocycle ou d’un macrocycle, et non sur une séance ou un exercice isolé. Cependant, même envisagé de manière séquencée, le principe de spécificité seul ne suffit pas à optimiser la recherche de performance en préparation physique : il est important de garder à l’esprit que l’on n’obtient pas d’adaptation spécifique uniquement par le biais d’une sollicitation spécifique. Si tel était le cas, alors la pratique d’une activité sportive se suffirait à elle-même dans le développement des qualités physiques du sportif. Car finalement, quoi de plus spécifique que de pratiquer l’activité à laquelle on se réfère ? L’expérience nous montre que cela ne suffit pourtant pas à amener les athlètes à performer au plus haut niveau de leur discipline, dans le modèle du sport professionnel contemporain. Ainsi, la déconstruction d’une performance au moyen de l’analyse disciplinaire doit impérativement être associée à une analyse des besoins de l’athlète. De cette analyse comparative découlera la mise en place d’un entrainement dit fonctionnel, répondant à la fois aux contraintes imposées par les spécificités de la discipline et celles découlant du profil de l’athlète.
Titulaire d’un Master of Sciences "Strength and Conditioning" obtenu à l’Université de Cardiff, je me suis spécialisé dans la préparation physique des disciplines à dominante force et puissance. Je m’intéresse de prés à ce qui touche à l’amélioration de la performance sportive, la réathlétisation et la nutrition. J’effectue une veille scientifique continue dans ces domaines en France et à l’international.
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